Le moulin

Le moulin tourne au fond du soir, très lentement,

Sur un ciel de tristesse et de mélancolie,

Il tourne et tourne, et sa voile, couleur de lie,

Est triste et faible et lourde et lasse, infiniment.

 

Depuis l’aube, ses bras, comme des bras de plainte,

Se sont tendus et sont tombés ; et les voici

Qui retombent encor, là-bas, dans l’air noirci

Et le silence entier de la nature éteinte.

 

Un jour souffrant d’hiver sur les hameaux s’endort,

Les nuages sont las de leurs voyages sombres,

Et le long des taillis qui ramassent leurs ombres,

Les ornières s’en vont vers un horizon mort.

 

Sous un ourlet de sol, quelques huttes de hêtre

Très misérablement sont assises en rond ;

Une lampe de cuivre est pendue au plafond

Et patine de feu le mur et la fenêtre.

 

Et dans la plaine immense et le vide dormeur

Elles fixent — les très souffreteuses bicoques ! —

Avec les pauvres yeux, de leurs carreaux en loques,

Le vieux moulin qui tourne et, las, qui tourne et meurt.

Référence bibliographique

Verhaeren, Émile, « Le moulin », Les Soirs, dans Poésie complète, Bruxelles, Labor, 2001 [1887].

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